La commission parlementaire des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures remet en cause la volonté du bloc de créer une base de données paneuropéenne de reconnaissance faciale destinée à être utilisée par la police.
Dans le cadre d’une révision du traité de Prüm (2005), qui prévoit l’échange de données génétiques, d’empreintes digitales et de données à caractère personnel au sein du bloc, les États membres ont proposé que les autorités policières soient habilitées à partager des images faciales.
Des experts ont alors averti les députés européens des risques que comprend le projet « next-generation Prüm ». Ainsi, les droits liés à la vie privée pourraient être entravés si de nouvelles catégories de données étaient introduites dans le traité, comme la reconnaissance faciale.
La Dr Niovi Vavoula, de la Queen Mary University à Londres, a soulevé plusieurs inquiétudes auprès des députés européens. D’une part, le risque de « faux positifs » est bien présent. D’autre part, certaines minorités ethniques pourraient être injustement ciblées en raison de préjugés algorithmiques.
Des points également soulignés par Chloé Berthélémy, membre de l’association européenne pour les droits en ligne (EDRi), pour qui il est était « troublant » de penser à étendre le champ d’action du traité afin de couvrir les images faciales, et ce, au vu des faux positifs et des « préjugés raciaux systémiques entretenus par les forces de l’ordre et le système de justice pénale ».
La Dr Rafaela Granja, de l’Université de Minho, se réfère à une étude récente sur les points de contact nationaux (PCN) à travers le bloc qui permettent de simplifier les échanges transfrontaliers de données.
D’après l’analyse, fondée sur les réponses reçues aux PCN, il semblerait que les « faux positifs et le manque de normes ainsi que les problèmes liés à la responsabilité et la transparence » soient inhérents à l’extension du traité de Prüm.
Les députés européens appréhendent d’ailleurs cette idée. « Même au cours du dernier mandat, nous savions que la qualité des données était de la plus haute importance », a indiqué la législatrice Birgit Sippel (S&D), ajoutant que « pourtant, nous bataillons toujours avec ces thématiques, nous parlons de faux positifs et de concordances erronées, comme si c’était normal ».
« Mais ces faux positifs ont des conséquences néfastes sur les enquêtes, qui pourraient ainsi prendre un mauvais tournant », renchérit-elle.
Sophie in’t Veld, de Renew Europe, se demande quelle approche l’UE devrait adopter afin de gérer les abus de pouvoir pouvant émaner de certains États qui utilisent les nouveaux instruments prévus dans le « next-generation Prüm ».
Le Parlement européen ne joue qu’un rôle consultatif dans le cadre de ce traité. C’est pourquoi Sergey Lagodinsky des Verts/ALE a laissé entendre qu’il faudrait mener une étude plus minutieuse sur les ramifications possibles de ce nouveau système.
« Je pense que les conclusions à tirer sont très claires : il faut évaluer avant de modifier », a-t-il dit. « Nous devons procéder à un examen du système actuel avant d’aller plus loin. »
Malgré les craintes exprimées, certains législateurs se sont prononcés en faveur de l’extension.
À cet effet, Tomas Tobé (PPE) a souligné qu’un « échange accru » de données entre les forces de l’ordre de l’UE était nécessaire pour lutter contre la criminalité, mais qu’il conviendrait d’abord de mieux comprendre l’utilité de la reconnaissance faciale dans ce contexte.
Les conclusions du Conseil de l’UE datant de 2018 proposent une extension du traité et invitent les experts des États membres – dans le cadre du groupe de travail chargé des échanges d’informations et de la protection des données (DAPIX) – « à étudier les procédures inscrites dans le traité de Prüm afin de peut-être y inclure de nouvelles technologies biométriques, comme la reconnaissance faciale ».
Selon le rapport, la Commission européenne s’est entretenue avec la boîte de consultance Deloitte afin de mener une analyse à ces fins, et ce, pour le prix de 700 000 euros.
L’étude fait désormais l’objet de discussions au sein des groupes de travail au Conseil de l’UE, et une mise à jour publique sur les projets prévus devrait avoir lieu en octobre.