Pour suivre la propagation du nouveau coronavirus, les États membres de l’UE ont pris des mesures de surveillance supplémentaire, et ce, aux dépens des droits fondamentaux.
« Avez-vous téléchargé l’application Stop-Covid ? ». À cette question, même le Premier ministre Jean Castex a répondu « non » la semaine dernière lors de l’émission « Vous avez la parole ». Provoquant les rires et la stupeur chez les chroniqueurs face à l’ironie de la situation, ces propos ont relancé le débat sur l’utilité de l’application de traçage du SARS-CoV-2.
Selon le gouvernement, « [l’application] permet de prévenir les personnes qui ont été à proximité d’une personne testée positive, afin que celles-ci puissent être prises en charge le plus tôt possible, le tout sans jamais sacrifier nos libertés individuelles. »
La France a ainsi suivi le chemin de ses voisins européens en développant cette application mobile.
Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) a pourtant souligné l’importance de la recherche des contacts par les applications de téléphonie mobile. Néanmoins, la plupart des experts s’accordent à dire que les applications ne suffisent pas et devraient être complétées par d’autres mesures.
Défiance de la population
Bien que son utilité soit remise en question, la violation des droits fondamentaux, notamment à la vie privée, n’est que très peu abordée. Un point soulevé dans les bulletins mensuels de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA), y compris celui d’avril.
Le rapport cite, entre autres, le professeur Joseph A. Cannataci, rapporteur spécial de l’ONU : « [les smartphones et les autres applications de traçage sont potentiellement] parmi les développements technologiques les plus intrusifs en matière de protection de la vie privée au cours des vingt dernières années (…). »
Selon la FRA, ces applications risquent de nuire à d’autres droits, tels que la liberté de circulation, d’association et de religion. L’identification d’une personne, ses fréquentations ou sa localisation pourrait révéler ses convictions politiques ou religieuses.
De plus, les éventuelles erreurs de données pourraient renforcer les préjugés, la discrimination et les inégalités. Sans oublier le risque accru d’exclusion numérique et sociale pour les personnes peu informées dans le domaine.
« En général, la FRA a constaté un manque d’analyse approfondie des implications en matière de droits fondamentaux, lors de l’utilisation de nouvelles technologies », a expliqué Nicole Romain, directrice de communication de la FRA.
« Toutefois, de nombreux pays ont également collaboré activement avec leurs autorités de protection des données lors de l’élaboration d’applications de traçage. Celles-ci ont également publié des orientations de leur propre initiative, » précise-t-elle.
En France, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) explique avoir « procédé à trois contrôles afin de s’assurer que le fonctionnement de l’application “StopCovid France” réponde aux exigences de protection de la vie privée et des données personnelles de ses utilisateurs. »
Cependant, les citoyens se montrent très réticents à l’idée de partager leurs informations personnelles et ne font pas confiance aux gouvernements.
Ce phénomène peut s’expliquer par le manque de connaissance des utilisateurs au sujet des pratiques en matière de protection de la vie privée. Comme les sondages de la FRA le montrent, beaucoup ne savent pas vérifier les paramètres de confidentialité ou désactiver les paramètres de localisation. 77% des Français estiment qu’il n’est pas facile de consentir à l’utilisation de données personnelles par le biais de services en ligne.
Certains États ont également fait appel aux drones. L’Italie, la Hongrie et la Grèce ont ainsi contrôlé le respect des mesures d’éloignement physique dans les espaces publics et mesuré la température des personnes par voie aérienne.
L’Allemagne et la Roumanie sont allées plus loin en utilisant des bracelets biométriques. La Pologne et la Moldavie ont quant à elles eu recours à la reconnaissance faciale.
Nicole Romain souligne que « ces technologies traitent des données personnelles ou peuvent avoir un impact sur la manière dont les personnes jouissent de leurs droits fondamentaux. » Elle rappelle que « les droits fondamentaux ne peuvent être limités que dans des conditions strictes, justifiant la nécessité et la proportionnalité de leur limitation éventuelle. »
Il appartient certes aux pays européens d’assurer la conformité des technologies utilisées sur leur territoire aux règles de l’UE, mais la Commission européenne peut décider de porter plainte si tel n’est pas le cas.
Par : Anne Damiani | EURACTIV France
Le Covid-19, prétexte pour une surveillance numérique accrue ?